D. Eugster: Schweizer Werbebranche

Cover
Titel
Manipuliert!. Die Schweizer Werbebranche kämpft um ihren Ruf, 1900–1989


Autor(en)
Eugster, David
Erschienen
Zürich 2018: Chronos Verlag
Anzahl Seiten
319 S.
Preis
€ 48,00; CHF 48.00
URL
von
Claire-Lise Debluë

La publicité constitue à elle seule un objet paradoxal que très peu d’études se sont employées à résoudre: son éclatante visibilité dans l’espace public est inversement proportionnelle à l’opacité qui entoure ses acteurs, ses réseaux et ses modes de faire. Rares sont par ailleurs les professions qui, au XXe siècle, ont dû faire face à un tel déficit de légitimité auprès de l’opinion publique. Mais, à l’inverse, plus rares encore sont les secteurs économiques à avoir défendu avec une telle habileté leurs prérogatives et à avoir su préserver le secret de leurs affaires.

L’un des grands mérites de l’ouvrage de David Eugster, issu de sa thèse soutenue en 2015 à l’Université de Zurich, est d’aborder de front un objet pour le moins nébuleux. Peu d’études s’y sont employées avant lui en Suisse et, lorsque ce fut le cas, la question fut plutôt abordée par la bande. La thèse a été soutenue en histoire et en sciences du langage, une double appartenance disciplinaire qui tranche avec l’historiographie sur le sujet et qui constitue indiscutablement l’un de ses apports. En Suisse, cette dernière se divise schématiquement en deux sous-champs disciplinaires: l’histoire des entreprises, de la rationalisation commerciale et du marketing d’un côté (Jakob Tanner, Matthieu Leimgruber); l’histoire des arts graphiques et des médias de l’autre (Christophe Bignens, Yvonne Zimmermann, Andres Janser et Barbara Junod).

L’ouvrage est composé de neuf chapitres organisés de manière chronologique. Si les deux premiers chapitres concernent la période qui précède la Deuxième Guerre mondiale, le reste de l’ouvrage est dédié aux années d’après-guerre et se clôt par l’effondrement du bloc de l’Est, qui marque une rupture dans les pratiques discursives de la branche publicitaire. David Eugster aborde les années 1920 et 1930 – une période cruciale pour la structuration et la professionnalisation de la publicité –, sous l’angle de la mauvaise réputation des publicitaires. Il dresse les grandes lignes des principes théoriques et des stratégies déployées par les professionnels de la publicité pour promouvoir un secteur encore émergeant. Cette amorce fournit la matière à l’une des principales hypothèses de l’ouvrage: si les publicitaires sont aussi attentifs aux critiques formulées à leur encontre, c’est dans un objectif d’appropriation qui leur permettrait in fine d’exercer un plus grand contrôle sur leur image publique. Comme le montre habilement Eugster, le contexte idéologique et politique – exacerbé par la montée des totalitarismes, la Deuxième Guerre mondiale, puis la Guerre froide – façonnera en effet les discours des publicitaires sur la publicité. Tantôt s’agit-il pour les acteurs de la branche de se distinguer des discours de propagande en proclamant la «transparence» et l’«objectivité» de la rhétorique publicitaire et de ses représentations (chapitre 2). Tantôt s’agit-il de renégocier le rapport à l’État dans une période où la Défense spirituelle semble le plus solide rempart pour faire face au spectre de l’économie planifiée (chapitre 3). Tantôt s’agit-il encore d’ériger la publicité en indicateur de la vitalité démocratique du pays dans un contexte marqué par la Guerre froide et la cristallisation des fronts idéologiques (chapitre 4). Quant aux détracteurs de la publicité, quels que soient les rangs dont ils sont issus, ils puisent, eux aussi, dans les représentations dominantes de la culture politique pour démontrer le rôle néfaste des publicitaires sur la société. La construction de la figure du publicitaire en manipulateur (qui donne son titre à l’ouvrage), tirant profit de la faiblesse psychologique des consommatrices et consommateurs, en offre sans doute le motif le plus connu et le plus largement diffusé (chapitre 5).

Le chapitre 5 joue le rôle de pivot entre les deux grandes parties qui composent l’ouvrage en ce qu’il exprime l’idée d’un «avant» et d’un «après» la fin de la Seconde Guerre mondiale: entre 1945 et le milieu années 1960, le volume d’affaire de la publicité augmente de plus de 1000% (p. 49). Ce changement de paradigme se caractérise par un basculement: de «naïf·ve» et «faible» le·la consommateur·trice devient «sceptique» et critique. Si la première partie montrait comment les acteurs de la branche publicitaire avaient cherché à légitimer leur profession encore jeune et ses méthodes de communication, la deuxième met en lumière le double mouvement d’absorption par les publicitaires des attaques qui leur sont adressées (tromperie, machination, asservissement des masses, dégâts écologiques, sexisme, contrôle des médias par le financement de la presse, etc.), et de contre-attaque. À chaque fois, il s’agit pour les publicitaires de défendre leur légitimité et de véhiculer une «bonne» image d’eux-mêmes auprès du grand public ou des autres acteurs de la branche. Ces répliques prennent diverses formes: création d’associations ou de groupements (Aktion Freiheit und Verantwortung); théorisation et esthétisation des stratégies communicationnelles (recours à la linguistique, la cybernétique, à la psychologie sociale et l’anthropologie culturelle, autohistoire de la branche, appropriation des codes iconographiques de la culture pop, etc.); établissement d’un argumentaire de défense du métier et de l’activité publicitaires (élaboration du concept de «libre-choix» des consommateur·trice·s, nécessité de la communication dans la vie en communauté, liberté d’expression grâce au financement de la presse par la publicité).

L’auteur analyse avec finesse la manière dont la figure du publicitaire a progressivement été construite. La force de l’ouvrage réside dans sa capacité à agréger un grand nombre de sources et à mener une analyse détaillée des stratégies communicationnelles des publicitaires. Il fait aussi, et peut-être surtout, émerger un pan entier du «miracle économique» des Trente Glorieuses, dont David Eugster veille à nuancer le récit mythifié grâce à une série d’entretiens menés avec des acteurs de la branche. Sans doute aurait-on souhaité en savoir davantage sur les métiers de la publicité: non seulement le métier de publicitaire, présenté ici comme une profession relativement homogène, mais surtout la constellation de spécialisations (conseil en publicité et marketing, graphisme, maquettisme, etc.) ayant émergé dans son sillage et s’étant progressivement autonomisées au fur et à mesure que le secteur se structurait et se professionnalisait. De même, l’approche transnationale, qui fait plus particulièrement défaut, aurait-elle pu permettre de rendre compte avec davantage d’acuité la nature et l’étendue des circulations de la publicité et des publicitaires au cours du XXe siècle. C’est en effet à une cartographie plus systématique de cette «nébuleuse» publicitaire et de ses réseaux qu’aurait pu se consacrer cet ouvrage, ne seraitce qu’en introduction, de manière à élargir l’histoire de l’image publique de la publicité et des publicitaires à une véritable histoire économique et sociale de ce secteur.

Zitierweise:
Debluë, Claire-Lise; Schmidt, Alexandra: Rezension zu: Eugster, David: Manipuliert! Die Schweizer Werbebranche kämpft um ihren Ruf, 1900–1989, Zurich 2018. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 72 (1), 2022, S. 171-172. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00102>.

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in
Weitere Informationen
Klassifikation
Epoche(n)
Region(en)
Mehr zum Buch
Inhalte und Rezensionen
Verfügbarkeit